Rencontre avec Anne Yvonne Guillou autour du livre "Puissance des lieux, présence des morts"

Nous avons le grand plaisir d'accueillir Anne Yvonne Guillou pour une présentation de son ouvrage Puissance des lieux, présence des morts. Sur les traces du génocide khmer rouge au Cambodge, publié à la Société d'Ethnologie en mars 2025.
L'ouvrage :
Comment une société se reconstruit-elle après un génocide ? Quelles traces cette violence laisse-t-elle dans la mémoire collective et individuelle ? Quelle place ces « morts sans sépulture » trouvent-ils dans la vie des populations locales ?
La lecture occidentale médiatique du génocide perpétré par les Khmers rouges entre 1975 et 1979 découle d’une certaine vision de la souffrance d’autrui, très éloignée de l’expression propre aux Cambodgiens. En s’appuyant sur une longue enquête ethnographique, l’autrice entend ici prendre en compte leur ressenti, leur vécu et leur singularité, grâce à une familiarité construite sur plusieurs décennies.
Près d’un quart de la population a été décimée par le régime de Pol Pot, mais les corps des victimes n’ont jamais été restitués aux familles. Ces morts sont pourtant loin d’être absents. Pour l’État, ils sont devenus des preuves que l’on montre – notamment dans l’exposition controversée de restes humains au musée du Génocide de Phnom Penh. Les villageois et les fidèles bouddhistes, quant à eux, les « rencontrent » lors de la cérémonie annuelle des défunts : là, tous les morts, quels qu’ils soient, sont « soignés » par les vivants et invités à rejoindre le flux du cycle des renaissances.
De même, des fosses communes sont assimilées à des lieux puissants, abritant des esprits tutélaires de territoire et conservant les traces du passé. Ce dispositif permet de prendre en charge des morts anonymes en instaurant un dialogue ritualisé avec eux. Ainsi s’établit une cohabitation originale entre habitants vivants et défunts.
Au fil de l’ouvrage apparaissent les mécanismes de réparation sociale et symbolique d’un monde marqué par plusieurs années d’une destruction de masse extrêmement violente. Alors que notre époque voit ressurgir des conflits sanglants de grande ampleur, les pratiques cambodgiennes, largement méconnues, apportent un nouvel éclairage sur les capacités humaines de résilience.
L'autrice :
Anne Yvonne Guillou est anthropologue, directrice de recherche au CNRS, et travaille au Laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative (LESC) à l’Université Paris Nanterre. Elle a commencé ses toutes premières recherches sur les réfugiés du Cambodge en France en 1985 avant de partir au Cambodge en 1990. Elle a intégré l’APRONUC en 1993 et a travaillé comme productrice-présentatrice d’émissions à la radio et à la télévision khmérophones de cette entité onusienne. Elle a été consultante pour l’UNICEF, la FAO, Family Health International au Cambodge sur des questions liées à la santé, aux problèmes fonciers, et aux enfants des rues. Ses recherches depuis 2006 portent sur les mémoires collectives sous toutes leurs forme, les résiliences sociales après les destructions de masse, le génocide khmer rouge, l’évolution du bouddhisme et son articulation avec les cultes animistes ainsi que la perception de l’environnement en contexte animiste.
Elle a réalisé le documentaire Untold memories of Cambodia en 2018 (catalogue de la Société Française d’Anthropologie Visuelle, https://www.sfav.fr/fr/catalogue/film/351, accès gratuit). Elle est présidente de l’European association for Southeast Asian studies (https://www.euroseas.org/) et co-rédactrice en chef de la revue Moussons (https://journals.openedition.org/moussons/).